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Mutualisons nos forces pour les activistes du climat

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Dr. Bertrand Kiefer

Environnement et santé : pourquoi s’engager ?

Les problèmes environnementaux créés par notre civilisation sont légion. Il y a la diffusion des milliers - voire millions (le chiffre croît exponentiellement) – de substances toxiques, aux effets à long terme, conjugués et perturbateurs largement inconnus. Il y a aussi la disparition s’accélérant des animaux et plantes, l’effondrement de la biodiversité. Et puis, surtout, il y a le défi colossal du changement climatique. Tout cela affecte déjà la santé des individus et des populations, et la menace concrètement de manière grandissante. Dans tous les domaines, mais de manière particulière dans celui de la santé, les scientifiques démontrent toujours mieux l’irréversibilité des conséquences. Partout, des actions radicales sont nécessaires, non seulement en termes d’avancées technologiques, mais surtout de changements anthropologiques et culturels.

Le temps est un facteur crucial : il y a urgence. Ce qui est annoncé par la science environnementale, avec une précision et un niveau de certitude qui ne cessent de se renforcer, ce n’est pas un lent dérèglement climatique ou une érosion progressive de la biodiversité et des écosystèmes. C’est un processus d’un impact inouï, déjà en cours, s’accélérant – et en partie influençable.

Un futur de souffrances indicibles

Nous ne sommes plus sûrs, désormais, que les progrès du savoir et des technologies mèneront à une santé accrue, nous ignorons si ceux déjà accomplis seront maintenus demain. Si on regarde la réalité environnementale du monde, l’état actuel de la médecine apparaît comme un fragile acquis menacé par le tarissement des ressources et les désordres qui en résulteront, les souffrances humaines liées aux vagues de chaleur, inondations, sécheresses, incendies, maladies émergentes et migrations massives.Elle qui prétend fonder sa démarche sur des preuves scientifiques, la médecine devrait se montrer à la pointe d’une recherche de réponses. Car les connaissances qui annoncent les changements environnementaux sont du même type que les siennes : elles se fondent sur une identique démarche. Et, plus troublant encore, elles fournissent un niveau de preuve supérieur à celles qui soutiennent la plupart des démarches médicales.

C’est d’ailleurs pourquoi 11 000 scientifiques de 135 pays ont publié une lettre historique dans la revue BioScience [1.] En s’appuyant sur les preuves scientifiques les mieux établies, ils ont lancé un appel : sans changement immédiat et radical de nos modes de vie, « des souffrances indicibles » vont survenir. Pour le moment, face à cette crise de civilisation, la population, y compris en Suisse, reste en retrait, comme tétanisée.

Les médecins s'engagent

Or les scientifiques et les médecins - comme toute personne qui décide de sortir du rêve que tout peut continuer comme avant et prend la science au sérieux - s’engagent de plus en plus. Ils estiment que leur responsabilité est de défendre la réalité. La société préfère la négation du réel à l’abandon de son confort immédiat. Eux refusent cette folle manière d’anesthésie collective. C’est ainsi que, Richard Horton, rédacteur en chef de la revue The Lancet, a inversé le regard sur ce qu’il s’agit de considérer comme une démarche raisonnée en médecine. Dans une vidéo publiée par le site de Doctors for Extinction Rebellion, ainsi qu’au moyen d’un texte paru dans le Lancet [2,] il justifie et soutient les manifestations non-violentes d’affirmation de l’urgence climatique. Il va même plus loin. Parce que le changement climatique représente « une catastrophe imminente pour la santé publique », Horton attribue aux médecins une « responsabilité », voire une « obligation » de s'engager dans des manifestations non-violentes afin que des mesures radicales soient prises. Et si, faisant cela, ils enfreignent la loi, nous devons collectivement les défendre et les protéger, estime-t-il. Aux valeurs des codes de déontologie, il est temps d’ajouter le courage, dont le courage de défendre les lanceurs d’alerte.

Il n’y aura pas de « solution » à la crise climatique. Seulement des chemins de changement, dans lesquels il est urgent de s’engager, mais qui doivent rester foisonnants. L’écologie ne peut exister humainement que comme de nouvelles façons de vivre, dont la commune visée est d’être intégrée à l’environnement, durable, respectueuse de la diversité et ouverte au futur. En même temps doit se penser une justice environnementale. Il ne s’agit pas que des groupes de bobos se contentent de « faire juste » et laissent les plus pauvres payer le prix de restrictions et de taxes. Il s’agit que tous soient embarqués dans une nouvelle vie qui fasse sens.

S’engager, au sens de Horton, c’est donc aussi créer un futur désirable où se projeter. Pour mettre en mouvement les populations – puisque là se trouve le but – il faut un récit d’avenir, des horizons qui fassent envie. Rien ne sert de manifester si l’imaginaire reste en berne : ce ne serait que produire de la réaction, favoriser les tendances populistes qui, déjà, dominent la discussion politique. La culture de l’engagement peut devenir un endroit clé où se pense un monde en harmonie avec le vivant et les écosystèmes qu’il forme avec nous, un lieu où se mettent en scène les valeurs qui font des individus des êtres humains. Or, c’est cet esprit qui, sans le moindre doute, anime les jeunes activistes qui sont jugés aujourd’hui.

 

Bertrand Kiefer

 

1 World Scientists’ Warning of a Climate Emergency

William J Ripple, Christopher Wolf, Thomas M Newsome, Phoebe Barnard, William R Moomaw. BioScience, Volume 70, Issue 1, January 2020, Pages 8–12, https://doi.org/10.1093/biosci/biz088

2 Horton R. Offline: Extinction or rebellion? Lancet 2019. Crossref DOI link: https://doi.org/10.1016/S0140-6736(19)32260-3

 

 

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