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Mutualisons nos forces pour les activistes du climat

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Prof. Julia Steinberger

1. Est-ce que la surproduction contribue à une augmentation des émissions de CO2 ?

  • Les émissions de CO2 ne cessent d'augmenter. 2019 abattu tous les records, avec 36,4 GigaTonnes de CO2 mondialement (une augmentation de 60% comparée à 1990) (données du Global Carbon Project). La "pause covid" de 2020 n'a résulté qu'en une diminution d'environ 7% globalement, qui devrait pour la plupart être rattrapée en202l (Le Quéré et at 2020).

  • La surproduction peut se définir de plusieurs manières. Le plus étroitement, la surproduction dans une logique de marché est lorsque certains biens produits ne peuvent être vendus.

  • Dans le contexte du climat (voir le Rapport spécial sur 1,5 degrés du Groupe d'Experts Intergouvememental sur le Climat, GIEC) et du franchissement des limites planétaires (Steffen et al 2015), on peut parler de surproduction lorsque cette production

    • ne répond pas à des besoins humains, mais plutôt à une consommation de luxe (Shue 1993, Gough 2017). La surproduction correspond ainsi à la surconsommation.

    • Lorsque les émissions et autres impacts environnementaux liés à cette production contribuent à dépasser les niveaux durables (climat et autres limites planétaires).

    • Cette perspective est compatible avec les Objectifs du Développement Durable (ODD) de l'ONU, qui préconisent à la fois d'éliminer la pauvreté et les privations (ODDs numéios 1-7) et d'agir sur le climat (ODD numéro 13) à travers une production et consommation responsables (ODD numéro l2).

  • Si on définit la surproduction dans la deuxième définition, on peut définir la surproduction comme contribuant aux émissions du 10% les plus riches de la planète . Ceci conespond à environ la moitié des émissions mondiales selon une étude de l'ONG Oxfam (Gore 2020). Donc la moitié des émissions mondiales correspondraient ainsi à une conséquence de la surproduction.

 

2. Dans l'affirmative, pourriez-vous nous expliquer quel est l'impact de cette augmentation de CO2 sur le climat et la nature ?

En termes physiques, il est impossible de différencier les impacts dus à la production pour satisfaire les besoins humains et les impacts dus à la surproduction-surconsommation, étant donné que les impacts sont dus à la somme totale des émissions et de leur effet sur le climat. Par contre, çomme indiqué aux réponses des questions I & 3, la surconsommation et surproduction sont responsables d'environ la moitié de l'augmentation des émissions de CO2 mondiales depuis 1990.

La surproduction et la surconsommation sont donc clairement des facteurs accélérateurs du réchauffement climatique et des impacts qui en découlent (suivant les régions : vagues de chaleur, sécheresses, feux, précipitations extrêmes, extinction d'espèces, destruction d'écosystèmes, montée des océans, fonte des glaces polaires et glaciers de montagne, pertes de production agricolss, acidification des océans, extinction des récifs de coraux, insécurité alimentaire, augmentation de maladies dues au tiques et moustiques, etc (SR15).

 

3. Dans quelle proportion la surconsommation est-elle responsable des émissions de CO2 ?

L'ONG Oxfam a estimé que le 5% des personnes les plus riches sur terre étaient responsables de plus d'un tiers de la croissance des émissions de CO2 entre 1990 et 2015, et que le 10% de s des personnes les plus riches étaient responsables de plus de la moitié de cette augmentation (Gore 2020). Ceci montre que la surconsommation des populations les plus riches est un facteur dominant qui accélère dangereusement le réchauffement climatique. Comne les émissions s'accumulent dans l'atmosphère pendant des siècles, agissant comme des épaisseurs de couverture chauffante, il reste un budget très limité pour limiter l'élévation de la température à l,5o C par rapport aux niveaux préindustriels comme prôné par l'Accord de Paris. Les populations les plus riches ont déjà épuisé un tiers de ce budget, et continuent dans cette même voie.

La consommation de la population suisse conduit à des émissions de gaz à effet de serre équivalentes à 114 millions de tonnes de CO2 quand moins de 9 millions seraient compatibles avec la stabilisation du climat.

 

4.Qui subit les impacts climatiques dus à la surproduction ?

Les impacts sont subis par des populations humaines diverses et la biodiversité selon le type d'impact. Les populations les plus pauvres sont à la fois plus vulnérables et plus démunies face à ces impacts, mais aussi souvent localisées géographiquement dans les zones les plus touchées (IPCC2014). Les vagues de chaleurs mortelles touchent des centaines de millions de personnes en Asie et en Amérique Latine, pays qui pourraient faire face à des conditions de température létales d'ici la fin du siècle (Mora etal.2017). La montée des mers touche particulièrement le Bengladesh, un pays très pauvre et très peuplé, et les petits États insulaires, mais affectera toutes les populations côtières (Neumann et al. 2015). Beaucoup de pays d'Afrique sub-Saharienne sont très touchés par les alternances de sécheresse et d'innondations, de même que des invasions acridiennes et leurs sur les récoltes agricoles font que la faim recommence à augmenter dans le monde. Des études récentes montrent en efffet que les systèmes de production alimentaires des pays du sud et sud-est asiatique et d'Afrique sub-saharienne sont particulièrement vulnérables au changement climatique (Kummu et al.2021). Tous ces facteurs contribueront très certainement à augmenter l'immigration clandestine vers l'Europe et les risques encourus pour ceux qui essayent de traverser la méditerranée dans des embarcations d'infortune.

 

5. La surconsommation est-elle un choix personnel ou est-ce une réponse à une politique de surproduction ?

Depuis plusieurs décennies, les scientifiques en sciences sociales démontrent que la liberté de choix est un leurre. Il y a plusieurs arguments pour soutenir ce point:

De plus, la notion de 'choix personnel et libre' est souvent utilisée pour sur-individualiser la responsabilité individuelle, et effectivement décharger d'autres acteurs de leur part de la responsabilité (tels que les producteurs, distributeurs, etc. Fuchs et al 2016, Supran & Oreskes 2021). La surconsommation est donc plus le résultat d'une politique économique et de stratégies commerciales déployées à large échelle que de choix personnel.

 

  1. les producteurs de biens/services de consommation utilisent des outils.de marketing et de promotion qui créent des besoins qui n'existaient pas avant (déséquilibre de pouvoir);

  2. les consommateurs.trices ne sont pas toujours « libres », car ils.elles sont contraints par l'argent à disposition, mais aussi le temps à disposition pour faire dcs choix informés (ne prend pas en compte les limites à titre personnel);

  3. les consômmateurs.trices, dans la plupart des cas, ne sont pas dans une posture réflexive mais consomment par habitude et par routine (ne prennent pas en compte la difficulté de rompre les habitudes, sans contrainte - tel que les mesures autour du covid, par exemple), et ces modes de consommation sont structurés par les airangements matériels, les normes sociales et les règles, et les compétences de tout un chacun (tout changement dans les modes de consommation requiert un certain degré de complexité, bien au-delà dis choix individuels),

6. Si l'ensemble de la population mondiale avait le même niveau de consommation que la Suisse, quel en serait l'impact sur le climat ?

  • Les émissions territoriales de CO2 de la Suisse sont environ les mêmes par habitant que la moyenne mondiale : 4,4 tonnes par habitant comparées à 4,7 tonnes pour la moyenne mondiale. Mais ces statistiques sont trompeuses, car la grande majorité de la consommation Suisse est produite internationalement.

  • Les émissions dues à la consommation Suisse (en additionnant les importations, et en soustrayant les exportations) sont en effet trois fois plus grandes, de 14 tonnes de CO2 par habitant. A ce titre, la Suisse est le l5e pays mondial en termes d'émissions.par habitant.

  • Si l'ensemble de la population mondiale avait le même niveau de consommation que la Suisse, l'impact sur le climat serait 3 fois plus grand qu'actuellement.


Image du http://globalcarbonatlas.org/en/CO2-emissions,
données du
Global Carbon Project

 

7. Est-ce qu'une transformation de nos systèmes de production et de consomrnation est nécessaire pour la stabilisation du climat ?

La réponse scientifique est clairemcnt oui. Selon le rapport spécial du GIEC sur le 1,5 degrés, "limiter le réchauffement à 1,5 degrés requiert des transformations considérables sociétales et technologiques" (Chapitre l) et le chapitre 5 parle même de "transformations urgentes et de grande portée dans les pratiques, institutions et relations sociales de nos sociétés."

 

8. En cas de réponse positive à la question 7, quelles sont les transformations à effectuer ?

On peut articuler les stratégies des changements sous 3 catégories: éviter, changer et améliorer (Creutzig et al. 2018). Ces stratégies doivent être appliquées à chaque secteur (logement, transport, alimentation, autres ...).

    • Eviter, c'est tout d'abord éviter la surconsommation et la surproduction.

    • Changer, c'est changer de mode de consommation et de production afin de réduire les émissions (de la voiture vers les transports publics, ou de la viande vers des aliments à base de plantes).

    • Améliorer, c'est rendre chaque type de production-consommation plus efficace et moins émetteur de CO2 (en isolant les bâtiments, par exemple).

       

9. Est-ce que la croissance verte est une solution permettant d'atteindre les objectifs fixés par I'accord de Paris ?

Le débat académique continue dans ce domaine, mais de plus en plus de résultats qui incluent des revues systématiques (donc englobant toutes les publications existantes dans le domaine) concluent que la réponse, basée sur le manque de succès passé, est maintenant clairement non (Kailis & Hickei 2020, Wiedenhofer et al. 2O20, Haberlet al. 2020). De plus, une étude publiée début mai 2021 conclut que « les scénarios de décroissance atténuent beaucoup de risques liés à là faisabilité et la durabilité par rapport aux trajectoires axées sur la technologie, qui exigent par exemple un fort découplage entre croissance économique et consommation d'énergic, le retrait massif de dioxyde de carbone de l'atmosphère ct la pénétration à grande échelle et à grande vitesse des énergies renouvelables » (Keysser& Lènzen202l, notre trad.).

 

10. Existe-t-il en suisse une volonté politique de canaliser la surproduction ?

Guère. La Conseillère fédérale Sommaruga répète que la transition énergétique et l'atteinte des objectifs climatiques doivent se faire "sans sacrifices" (NZZ, I I mars 2021). Le Parlement n'a fixé aucun objectif de réduction de I'utilisation d'énergie ou de baisse de la consommation ou de l'activité économique dans Ies trois versions successives de la Loi fedérale sur le CO2. La Loi fédérale sur l'énergie prévoit une diminution de la consommation énergétique moyenne par habitant de 43% d'ici 2035 par rapport à 2000, mais cela doit se faire par des mesures qui sont "économiquement supportables", principalement des mesures d'efficacité énergétique (moins d'énergie consommée pour la même production ou consommation de biens et services)

 

11. En cas de réponse positive à la question 10, quels sont les instruments qui ont été développés, et fonctionnent-ils ?

Les mesures prises dans le cadre de la politique climatique et énergétique ont fait baisser les émissions des gaz à effet de serre de 16,4% entre 1990 et 2018 (uniquement les émissions dans le pays, inventaire des gaz à effet de serre de l'OF'EV), alors que la consommation totale d'énergie finale a augmenté de 5% sur la même période (Statistique globale suisse de l'énergie de I'OFEN). Cela s'est fait sans diminution de la production, puisque le PIB a augmenté de 65% entre 1990 et 2019, alors que la population n'a augmenté que de 28% (données OFS). Pendant la même période, cependant, les émissions de CO2 dues à la consommation suisse (ajustées pour le commerce international) ont augmenté de 40% (données du Global Carbon Project). En 1990 les émissions dues à la consommation suisse étaient ds l'ordre du double des émissions territoriales: elles sont maintenant plus du triple. Il est donc clair que les politiques suisses ne touchent pas à la surconsommation.

 

12. En cas de réponse négative à la question 10, quelles sont les actions à mettre en place pour réaliser les transformations nécessaires ?

Voir la réponse à la question 8. Il faut que toutes les émissions de gaz à effet de serre soient réduites soit en imposant des limites graduellement abaissées, soit en les rendant payantes à un prix suffisamment élevé pour encourager la baisse nécessaire de leurs émissions. De plus, il faudra rapidement se préparer à retirer du CO2 de l'atmosphère, en prévision du dépassement de la concentration compatible avec une stabilisation du climat à un niveau compatible avec les objectifs de l'Accord de Paris. Sauf que les technologies existantes ne permettent pas de faire des retraits à grande échelle du CO2.

 

13. Quel regard ou soutien porte le milieu scientitique à l'égard des actes de désobéissance civile liés au climat ? Les climatologues se mobilisent-ils également ? Quelle forme prend ce soutien ? Avez-vous des exemples ?

Déjà en 2019, plus de 700 scientifiques ont signé une lettre de soutien aux actes de désobéissance civile en rapport avec le climat (l'article indique 400, mais la lettre a continué à récolter des signatures). Les climatologues sont parmi les signataires. Tout récemment, plus de 400 scientifïques dans le domaine du climat et de l'environnement ont signé un lettre de soutien contre la criminalisation des mouvements activistes non-violents qui incluent la désobéissance civile. Cette lettre a été signée par de multiples coauteurs du GIEC. Certains scientifiques dans le domaine du climat font activement partie des mouvements tels que Extinction Rébellion, Scientist Rebellion, Fridays for Future, KlimaStreik etc. Les climatologues se rendent très disponibles pour informer toutes les personnes qui le souhaitent des résultats scientifiques. Cette disponibilité s'adresse autant aux médias qu'aux politiques ou aux tribunaux ou encore aux groupes associatifs ou aux entreprises. La complexité et I'interdisciplinarité de la recherche dans le vaste domainc du climat nécessite que les scientifiques expliquent et commentent leurs résultats et ne se contentent pas de publications scientifiques. Le travail de vulgarisation des résultats scientifiques sur le climat n'est qu'à ses balbutiements. Un effort considérable et soutenu dans le temps est nécessaire pour accélérer la prise de conscience.

 

14. Quel est le fondement des diverses actions militantes liées à la problématique climatique ? Quelles sont les motivations des activistes ?

Nos résultats scientifiques sont sans équivoque: il est urgent d'agir massivement et à toutes les échelles pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans tous les domaines. La perspective de l'urgence climatique, démontrée par les scientifiques, est un facteur majeur de la motivation vers la désobéissance civile, de façon à accélérer la prise de conscience, de responsabilisation des acteurs de la société (producteurs et consommateurs), pour faire passer le message dans les médias, et pour agir en conséquence avec la dangerosité de cette crise. La motivation est aussi créée par l'inaction et la lenteur des politiques et des secteurs économiquesr malgré la ratification de l'Accord de Paris, les engagements pris ne sont clairement pas à la hauteur du défi de limiter le réchauffement à 1,5 degrés (ou même de rester en dessous de 2 degrés).

 

15. Comment expliquez-vous la recrudescence des actes de désobéissance civile liés au climat ?

L'information concernant les changements climatiques, leurs causes et les risques qui leur sont liés est connue depuis des décennies. Toutefois I'action pour réduire les émissions de gaz à effet de serre reste déficiente. Les voies politiques ont été explorées avec un succès mitigé. Les manifestations et activités "normales" de prise de position citoyenne ne suffisent pas à ébranler le statu quo. Face à l'urgence actuelle et à la visibilité des conséquences des changements climatiques depuis quelques années, il est inévitable qu'il y ait une mobilisation pour faire évoluer les sociétés plus rapidement.

 

16. Quel est I'impact des actions de désobéissance civile sur le politique, l'économie et l'opinion publique ?

C'est souvent difficile à mesurcr ou prédire exactement quel sera I'impact d'une action ou d'une autre. Par contre, il est clair que les mouvements sociaux, tels que Extinction Rébellion au Royaume Uni, ou le Sunrise Mouvement aux EtatsUnis, qui sont basés sur la désobéissance civile non violente, ont eu un impact important sur prise en compte des questions liées au climat dans les médias (qui est montée en flèche dans les deux pays), la conscience citoyenne et les politiques de leurs pays respectifs.

 

17. Quel regard personnel portez-vous sur les actes de désobéissance civile liés au climat (Ex : grève du climat, XR) ?

Il s'agit d'une forme d'action politique. Nous ne nous permettrions pas de porter un jugement sur ces actions alors que nos actions scientifiques depuis de nombreuses années ont certes permis une meilleure information des politiques et du public mais guère de résultats concrets pour réduire les émissions de gaz à effet de serre pour l'instant. Nos résultats montrent pourtant qu'il est urgent d'agir.

Julia Steinberger

 

Prof. Oriane Sarasin Dr. Bertrand Kiefer

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